Laurent Mauduit
C’est une menace très
grave qui pèse sur le Smic. Non pas seulement parce que le gouvernement a
décidé de le majorer le moins possible et de jouer la carte de
l’austérité salariale, mais pour une raison plus profonde, que la presse
n’a pas relevée : parce que l’Elysée rêve de pouvoir un jour le
contourner au profit du revenu de solidarité active (RSA).
Et cette montée en puissance programmée du RSA au détriment du Smic
est un projet qui modifie radicalement la philosophie de la politique
sociale française. Pour comprendre ce qui est en gestation, il faut
d’abord se souvenir des passes d’armes de la campagne présidentielle.
Au début du mois de janvier 2012, quand il révèle son projet, le
candidat socialiste prend ses distances sur de nombreux points avec le
programme élaboré par son propre parti, au printemps précédent. Alors
que la plate-forme du PS a consigné noir sur blanc l’impérieuse
nécessité de donner un « coup de pouce » au salaire minimum, François
Hollande refuse ainsi de reprendre cette mesure à son compte.
À l’époque, il se garde d’expliquer les raisons de ce choix, mais
ceux qui le connaissent savent à quoi s’en tenir : de longue date,
François Hollande a des préventions contre le Smic. En quelque sorte, il
a lui aussi été contaminé par la célèbre thèse (pour le moins
discutable) de la « préférence française pour le chômage » – défendue en
d’autres temps par Denis Olivennes et Alain Minc – selon laquelle des
salaires trop élevés feraient le lit du chômage. Mais, dans le feu de la
campagne, face notamment à Jean-Luc Mélenchon qui a fait du Smic l’un
de ses principaux chevaux de bataille, François Hollande a du mal à
tenir sa position. Alors, du bout des lèvres, il finit par consentir
qu’en cas de victoire il pourrait faire un geste sur le Smic. Un petit
geste.
Et de la parole aux actes ! En juin, le gouvernement annonce donc que
le Smic sera revalorisé de 2 % au 1er juillet suivant, soit 1,4 % au
titre de l’indexation automatique, et 0,6 % au titre du « coup de
pouce » facultatif que la loi autorise. Seulement 0,6 %, c’est-à-dire...
une misère ! Cela représente tout juste 20 centimes par jour, alors
que, à chaque alternance, tous les gouvernements, de gauche comme de
droite, ont procédé à des hausses de deux à trois fois plus élevées.
Cette simple mesure vient confirmer que François Hollande est totalement
en arrière de la main.
En faut-il une preuve supplémentaire ? Le gouvernement vient de
l’administrer. Car il a annoncé que, pour le 1er janvier 2013, le Smic
ne sera plus majoré que du montant de l’inflation. Soit seulement 0,3 %
(9,43 € brut l’heure). Plus de « coup de pouce », même dérisoire ! Plus
de largesses, même en forme d’aumône : le gouvernement affiche désormais
clairement son cap, celui de l’austérité salariale.
L’austérité pourrait même se renforcer, car le gouvernement semble
désireux, maintenant, de modifier les règles du jeu. Un groupe d’experts
a en effet été chargé voilà quelques mois de tracer des pistes de
réformes possibles. Et il vient de faire connaître le fruit de ses
réflexions. Pour le court terme, les « têtes d’œuf » ont recommandé
d’exclure tout « coup de pouce » et de réviser les modalités
d’indexation – deux recommandations aussitôt appliquées par Matignon.
Mais, pour le plus long terme, les propositions de réformes sont encore
plus explosives. Entre autres idées, ces experts suggèrent d’avancer à
terme vers des Smic selon l’âge des bénéficiaires – ce qui reviendrait à
créer un Smic jeune, de sinistre mémoire –, ou alors des Smic
différents selon les régions – ce que le patronat réclame depuis des
lustres –, ou enfin de remettre carrément en question « le principe même
d’une revalorisation automatique ».
En bref, ces experts proposent de casser le Smic en mille morceaux.
Ce que le ministre du Travail, Michel Sapin, a aussitôt exclu : « Il y a
un Smic et un seul ; il y aura demain un Smic et un seul. »
Mais, dans le lot de leurs propositions, il y en a une autre qui fait
dresser encore plus l’oreille, car c’est sans doute celle qui révèle le
mieux l’inspiration de la politique économique du gouvernement.
Estimant – mais en se gardant bien d’en apporter la preuve – que « le
Smic n’est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les
bas revenus », ces experts défendent l’idée que le gouvernement serait
bien avisé de ne plus se servir du salaire minimum à cette fin, mais
seulement du RSA.
Traduction : cessons de majorer le Smic, qui pèse sur les entreprises,
ne majorons plus que le RSA, qui est à la charge de l’Etat ! Cessons de
légiférer en matière de travail et laissons l’Etat apporter des aides
aux plus pauvres ! Brûlons même le code du travail et contentons-nous de
prévoir un système d’aide pour les plus déshérités ! Voilà en résumé le
nec plus ultra du libéralisme revisité par le socialisme version
Hollande : un marché du travail bien déréglementé mais des bonnes œuvres
bien organisées.
Pour l’heure, le gouvernement n’a donc mis en œuvre qu’une partie des
recommandations de ces experts. Mais la philosophie de l’action
publique est au moins clairement affichée. Une philosophie rétrograde :
c’est le retour aux temps anciens de la charité publique.
Laurent Mauduit*
27/12/2012
Photo : Le ministre du Travail et de l'Emploi, Michel Sapin - WITT/SIPA
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