jeudi 10 octobre 2013

L’histoire oubliée de Mor­dechai Vanunu, lanceur d’alerte israélien kid­nappé par le Mossad

Paola Schneider - Rue89 -          


Libéré sur parole en 2004, Mor­dechai Vanunu a croupi seize ans dans une cellule de confi­nement israé­lienne. En 1986, quand ce tech­nicien nucléaire israélien révèle au monde l’existence d’un pro­gramme d’armement nucléaire tenu secret par l’Etat hébreu, le terme « lanceur d’alerte » n’existait pas.

Ses révé­la­tions fra­cas­santes n’ont pourtant pas eu l’écho de celles d’un Edward Snowden. Un docu­men­taire diffusé sur la radio bri­tan­nique BBC World le 3 octobre nous a rappelé comment la presse indé­pen­dante et la raison d’Etat pou­vaient s’entrechoquer, déjà, dans les années 80.
Vanunu l’affirme, Israël détient secrè­tement entre 100 et 200 armes nucléaires, ce qui en fait la sixième puis­sance mon­diale en la matière. Des révé­la­tions publiées le 4 octobre 1986 dans le Sunday Times par le jour­na­liste Peter Hounam.

Pas une usine textile, une centrale nucléaire

Née au Maroc de parents juifs, Vanunu émigre en Israël avec sa famille dès l’enfance. Il étudie la phi­lo­sophie, sert dans l’armée et finit par tra­vailler dans le com­plexe de Dimona, à 200 kilo­mètres au sud de Jéru­salem, en plein désert. Sous couvert de fabriquer du textile, on y produit du plu­tonium. Dimona n’est autre qu’une cen­trale nucléaire qui fabrique secrè­tement des armes et emploie plu­sieurs mil­liers de per­sonnes contraintes au silence.
Vanunu y tra­vaille neuf ans comme tech­nicien nucléaire et marque peu à peu son désaccord avec la poli­tique du pays. Il désap­prouve le trai­tement réservé au peuple pales­tinien et le secret qui entoure la cen­trale. Ses diver­gences d’opinion se font sentir, il est mis en garde puis renvoyé.
Mais Vanunu a pris les devants et a ras­semblé des preuves dans l’espoir qu’une média­ti­sation inter­na­tionale puisse imposer à Israël de déman­teler son armement.

Le Sunday Times travaille plusieurs semaines

Mis sur la piste par des rumeurs, un jour­na­liste du Sunday Times, Peter Houman, retrouve la piste de Vanunu. Il le ren­contre pour la pre­mière fois en Aus­tralie, où le tech­nicien s’est exilé et converti au chris­tia­nisme. Dans le docu­men­taire diffusé sur BBC World, il raconte :
« Quand j’ai vu Vanunu qui se tenait là, un peu dégarni, pas très confiant, habillé très sim­plement, il ne res­sem­blait cer­tai­nement pas à un scien­ti­fique nucléaire. »
Les deux hommes sont méfiants, explique Peter Houman. Mais le jour­na­liste montre patte blanche et Vanunu se livre. Houman épluche la docu­men­tation qu’il trouve en biblio­thèque pour vérifier les infor­ma­tions fournies par son inter­lo­cuteur. Après deux ou trois jours, il en est certain : les pro­cédés de fabri­cation des armes décrits par Vanunu sont plus que plausibles.
« Il m’a raconté comment il avait introduit un appareil photo à l’intérieur, puis plus tard une pel­licule cachée dans sa chaus­sette, et avait com­mencé à prendre des clichés tard le soir ou tôt le matin. »
Mor­dechai Vanunu est inquiet mais accepte de suivre Houman en Angle­terre. Il vit caché dans un hôtel de cam­pagne pendant que le Sunday Times vérifie ses décla­ra­tions. Un travail de plu­sieurs semaines. Vanunu s’ennuie et la rédaction finit par l’installer dans un hôtel du centre londonien.

Dupé par une touriste américaine… du Mossad

L’histoire est sur le point d’être publiée. Caché dans le coffre d’une voiture, Vanunu est introduit dans la rédaction du Sunday Times. Il annonce alors à Peter Houman qu’il en pince pour une tou­riste amé­ri­caine ren­contrée par hasard. Le jour­na­liste se méfie et met Vanunu en garde. Il lui propose de dîner avec eux le soir même en vue d’écarter tout soupçon. Mor­dechai Vanunu accepte puis, fina­lement, annule. Convaincu qu’il sera plus en sécurité ailleurs, il s’envole pour Rome en com­pagnie de l’Américaine.
Dès son arrivée, il est kid­nappé, drogué et expédié vers Israël par bateau. La femme n’était autre qu’un agent du Mossad, le service de ren­sei­gnement israélien.

Traître et renégat du judaïsme

Sans nou­velle de sa source, le Sunday Times publie l’article. Vanunu n’apparaîtra pas à la télé­vision comme prévu et les révé­la­tions n’ont pas l’impact escompté. Un mois plus tard, l’Etat hébreu admet détenir Vanunu mais nie tout enlè­vement. Accusé de tra­hison, il doit com­pa­raître devant la justice.
Le jour du procès, alors qu’il est escorté en voiture vers le palais de justice, Vanunu dérobe un stylo. Dans la paume de sa main plaquée contre la vitre, il adresse un message à la presse agglu­tinée autour du convoi : « Détourné à Rome le 30 octobre 1986 ».
Le tech­nicien est condamné à dix-​​huit ans de prison pour tra­hison et espionnage. Son sort n’émeut pas outre mesure une popu­lation qui condamne son rejet du judaïsme. Vanunu est déclaré mort par ses parents et tombe rapi­dement dans l’oubli.
À l’origine de l’enlèvement et ins­ti­gateur du pro­gramme nucléaire, le premier ministre israélien Shimon Peres à réussi son coup.

Libération sous conditions

Fer­vents oppo­sants au nucléaire, les Amé­ri­cains Nick et Mary Eoloff adoptent Mor­dechai Vanunu en 1997 et lui rendent visite en prison. L’année sui­vante, il quitte enfin la cellule d’isolement où il a été confiné depuis son incar­cé­ration. Vanunu y passera quatre mois de plus pour des infrac­tions mineures avant d’être libéré sur parole en 2004. Le condamné promet de ne plus dire un mot à la presse et de ne pas quitter le ter­ri­toire. Mais en 2010, Vanunu outre­passe ces condi­tions et écope à nouveau d’une peine de trois mois de prison.

Aujourd’hui libre, Mor­dechai Vanunu est le premier Israélien à avoir demandé à béné­ficier de la nou­velle loi dite de « révo­cation de la citoyenneté israé­lienne ». Elle permet à la Cour suprême d’Israël de des­tituer de leur natio­nalité les Israé­liens condamnés pour traî­trise ou espionnage. En 2012, invo­quant un vice de pro­cédure, la Cour suprême a refusé d’accéder à sa demande.

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