Gilles Devers
Le
racisme en France, comme une maladie de notre société, inquiète devant
les bouleversements de la mondialisation ? Non, le racisme revendiqué et
raisonné est permanent dans notre histoire.
Voici, à la tribune de la
Chambre des députés, le 28 juillet 1885, un éloge de la supériorité de
la race blanche : « Il
y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour
elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Mais
quel est ce rat, juste bon pour la correctionnelle ? C’est Jules Ferry,
idolâtré comme l’incarnation des valeurs de la République... Je rappelle
que pour inaugurer son mandat, François Hollande lui avait rendu
hommage, le 15 mai 2012.
Oui,
mais j’entends déjà : « Il ne faut pas tout mêler, et Jules Ferry a
fait des choses très bien pour l’école… ». Non, non, non : il faut
admettre les faits, le racisme congénital au cœur de la République.
Comment traiter un problème si on refuse de l’examiner ? Le jour où la
France voudra réellement se donner une politique pour combattre le
racisme, elle devra commencer par regarder son histoire et sa République
en face. Et débaptiser une kyrielle de rues et d’écoles… Ce serait la
fin d’un scandale. Dégagez-moi des écoles cette crapule qui fondait son
action politique sur le devoir des races supérieures…
Je reproduis ici l’extrait de son discours du 28 juillet 1885, issu des archives de l’Assemblée nationale.
Après avoir fait un éloge de la politique coloniale, condition du progrès économique de la France, Jules Ferry en vient au second point : « le côté humanitaire et civilisateur de la question ».
M. Jules Ferry. Sur
ce point, l'honorable M. Camille Pelletan raille beaucoup, avec
l'esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et
il dit : Qu'est ce que c'est que cette civilisation qu'on impose à
coups de canon ? Qu'est-ce sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce
que ces populations de race inférieure n'ont pas autant de droits que
vous ? Est-ce qu'elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce
qu'elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré ; vous
les violentez, mais vous ne les civilisez pas.
Voilà,
messieurs, la thèse ; je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la
politique, cela, ni de l'histoire : c'est de la métaphysique
politique... (Ah ! ah ! à l'extrême gauche.)
Voix à gauche. Parfaitement !
M. Jules Ferry ...
et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable
collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu'au bout votre thèse,
qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races
inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu'au bout, car vous êtes,
comme votre honorable collègue et ami M. Georges Perin, le partisan de
l'expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce.
Messieurs,
il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu'en
effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races
inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.)
M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme !
M. de Guilloutet. C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres !
M. Jules Ferry. Si
l'honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l'homme
a été écrite pour les noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel
droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous
appellent pas ! (Interruptions à l'extrême gauche et à droite. - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
M. Raoul Duval. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C'est vous qui les leur imposez !
M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !
M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !
M. Jules Ferry. Je
répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a
un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races
inférieures... (Marques d'approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l'extrême gauche et à droite.)
M. Joseph Fabre. C'est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l'abdication des principes de 1789 et de 1848... (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.
M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d'en user ! (Bruit.)
M. le président. N'interrompez pas, monsieur Vernhes !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures...
M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.)
Voix à gauche. N'interrompez donc pas !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs...
M. Vernhes. Allons donc !
M. Jules Ferry. Ces
devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l'histoire des
siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les
explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique
centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race
supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais,
de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent
avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de
civilisation.
M. Paul Bert. La France l'a toujours fait !
M. Jules Ferry. Est-ce
que vous pouvez nier, est-ce que quelqu'un peut nier qu'il y a plus de
justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus
sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ?
Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer
la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions
oeuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de
nier que, dans l'Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se
rencontrent dans l'histoire de cette conquête, il y a aujourd'hui
infiniment plus de justice, plus de lumière, d'ordre, de vertus
publiques et privées depuis la conquête anglaise qu'auparavant ?
M. Clemenceau. C'est très douteux !
M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !
M. Jules Ferry. Est-ce
qu'il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces
malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le
protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que
notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée,
que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations
européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit
positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les
gouvernements, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible
trafic, et l'esclavage, cette infamie. (Vives marques d'approbation sur divers bancs.)
Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché.
Il
est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur
lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise.
C'est le côté politique de la question.
Messieurs,
dans l'Europe telle qu'elle est faite, dans cette concurrence de tant
de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les
perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le
développement prodigieux d'une population incessamment croissante ; dans
une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de
recueillement ou d'abstention, c'est tout simplement le grand chemin de
la décadence !
Les
nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l'activité
qu'elles développent ; ce n'est pas « par le rayonnement des
institutions »... (Interruptions à gauche el à droite) qu'elles sont grandes, à l'heure qu'il est.
M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c'est l'apologie de la guerre !
M. de Baudry d'Asson. Très
bien ! la République, c'est la guerre. Nous ferons imprimer votre
discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de
nos circonscriptions.
M. Jules Ferry. Rayonner
sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart
de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège,
comme une aventure, toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient,
vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est
abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire,
c'est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. - Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j'imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays.
Il
faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les
autres, et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile
général qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances
européennes, il faut qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera...
oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos
petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d'autres nations qui ont
joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent
aujourd'hui, quelque puissantes, quelque grandes qu'elles aient été
descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.)
Aujourd'hui
la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont
soumis, c'est la politique d'abdication proclamée et décidée. (Non ! non !)
Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très
bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l'avoir votée ; le
corps électoral devant lequel vous allez rendre n'est pas plus que nous
partisan de la politique de l'abdication ; allez bravement devant lui,
dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances
atténuantes ! (Exclamations à droite et à l'extrême gauche. - Applaudissements à gauche et au centre.) ... dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses...
Un membre. Pas par la conquête !
M. Jules Ferry. ... grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra.
M. Raoul Duval. Le pays, vous l'avez conduit à la défaite et à la banqueroute.
M. Jules Ferry. Quant
à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s'indignent
de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme
pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez
l'expression, de pot-au-feu...(Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.)
M. le baron Dufour. C'est un langage de maître d'hôtel que vous tenez là.
M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien !
M. Jules Ferry. Je
connais votre langage, j'ai lu vos journaux... Oh ! l'on ne se cache
pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des
monarchies déchues estiment qu'une politique grande, ayant de la suite,
qu'une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est
l'apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au
contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses...
M. de Baudry d'Asson. C'est très vrai !
M. Jules Ferry. Eh
bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879,
lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le
gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à
donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout
ce qu'il a entrepris...
M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau !
M. Calla. Le déficit et la faillite !
M. Jules Ferry. ...aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles... (Applaudissements au centre et à gauche), que dans sa politique d'extension coloniale, qu'il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.)
Il
a montré qu'il comprenait bien qu'on ne pouvait pas proposer à la
France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre
Belgique et comme la Suisse républicaine, qu'il faut autre chose à la
France : qu'elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu'elle doit
aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute
l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence
sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs,
son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.)
Quand
vous direz cela au pays, messieurs, comme c'est l'ensemble de cette
œuvre, comme c'est la grandeur de cette conception qu'on attaque, comme
c'est toujours le même procès qu'on instruit contre vous, aussi bien
quand il s'agit d'écoles et de travaux publics que quand il s'agit de
politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que
nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous
entendront, et le pays sera avec vous, car la France n'a jamais tenu
rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et
intellectuelle (Bravos prolongés à gauche et au centre. - Double salve d'applaudissements - L'orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.)
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