mardi 21 janvier 2014

«Closer», combien de subventions ?

Corinne Morel Darleux          

Alors que j'étais plongée dans la lecture d'un article du Monde Diplomatique sur le Japon, que vois-je là, dans l'edito... Mince, sérieux ? Télé 7 Jours favoriserait 38 fois plus la « libre communication des pensées et des opinions » que Le Monde Diplo ? Intriguée, je remonte à la source et de fait. La lecture des chiffres 2012 des aides à la presse est très instructive. On y apprend ainsi que pour dévoiler les amours secrètes du Président de la République, Closer reçoit 558 000 euros de la part de l’État. On ne sourit pas.

Plus sérieusement, juste pour savoir : qu'est-ce qui justifie l'attribution de ces fonds publics à Auto-Moto ou à Mieux vivre votre argent ? Je ne suis pas une experte du monde professionnel des médias, mais je suis élue de la République. Et à la Région, je peux vous dire qu'avec ma camarade du PG, Elisa Martin, on épluche tous les dossiers de subvention en se posant à chaque fois la même question : où doivent aller les fonds publics, l'impôt de nos concitoyen-ne-s ? Dans certains cas, c'est facile. Pour STMicroelectronics, entreprise de droit hollandais dont le siège est en Suisse, qui dégage 830 millions de résultat net et licencie un peu partout dans le monde, la subvention de 25 millions, pour nous c'est non. D'autres fois c'est plus délicat, il faut peser l'intérêt général, l'utilité d'attribuer une aide, estimer à quoi ça sert, si c'est utile, ce qui se passerait si on ne la versait pas, tout en essayant de ne pas faire de la Région un palliatif aux déficiences de l’État. C'est le cas pour les hôpitaux de proximité, avec des maternités menacées par la tarification à l'acte (T2A) et la loi HPST dite Bachelot, que le gouvernement avait promis d'abroger et qui continue d'étrangler les petits établissements de santé comme chez moi, dans le Diois. Évidemment c'est du ressort de l’État, garant des solidarités et de la santé publique, mais on ne peut pas les laisser crever comme ça. Alors on vote pour, tout en rappelant le gouvernement à ses responsabilités.
Bref, pour en revenir aux aides à la presse : en quoi Télé 7 Jours (7 millions d'euros d'aides publiques), Télé Star (5 millions), Télé Loisirs (4,5 millions), Télé Z (3,7 millions), Télé Câble (3,3 millions), Télé Poche (1,7 million), Télé 2 semaines (1,2 million), TV Grandes chaînes (1 million) et Télé Magazine (0,2 million) contribuent-ils à l’intérêt général ? Pour près de 28 millions d'euros tout de même... 28 millions d'euros, tiens, c'est aussi le montant de l'amende imposée par l'Union européenne pour entrave à la concurrence au « cartel de la crevette ». Sûr que là, la pluralité du programme télé est assurée.
28 millions d'euros... Quand on passe notre temps à entendre le discours euro-libéral débordant d'austérité du président Hollande et les appels à se serrer la ceinture ? Alors qu'on nous annonce une hausse de la TVA pour réduire les déficits publics et répondre à l'injonction de la « règle d'or » de la Commission européenne ? Sérieux, 28 millions d'aides publiques pour connaître les programmes télé, à l'ère de l'Internet ?
Internet parlons-en d'ailleurs, car il ne se trouve curieusement que très peu de sites d'information en ligne dans ce tableau des aides à la presse : epresse.fr, 20minutes.fr et slate.fr. Quant à Mediapart, Terra Eco ou Arrêt sur Images (qui explique pourquoi il dit non aux aides), le gouvernement s'en occupe d'une autre manière, en leur envoyant des contrôles fiscaux. La raison ? Tous ont pris la décision, au sein du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) d'appliquer le taux réduit de TVA de 2,1 %, le même que celui de la presse imprimée. L’administration fiscale, elle, veut leur imposer un taux de 19,6 %, comme d'autres services en ligne. Donc, si on récapitule : Télé 7 Jours c'est de l'information à subventionner avec un taux de TVA réduit, Mediapart c'est du service en ligne. Ah.
Avec une recherche rapide sur Internet, on se rend compte que 28 millions d'euros, c'est aussi ce qu'a perçu David Beckham pour faire de la publicité, via ses sponsors, entre juin 2011 et 2012, selon le magazine américain Forbes. Ou encore, c'est le montant qu'un Canadien a gagné à la loterie avant de décider de tout reverser à des œuvres caritatives.

Voilà comment d'un article sur la bataille du Pacifique, percutée par une actualité de brève de comptoir, on s'en retrouve au cocktail télé, charité, publicité, loto et foot-business. Panem et circenses. On n'en sort donc jamais ?

Corinne MOREL DARLEUX 

Conseillère régionale Rhône Alpes et Secrétaire nationale à l'écosocialisme du Parti de Gauche

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